Lisboa, Alameda das Comunidades Portuguesas

fotografia: filipe sousa | 20 setembro 2021


«L'avion est une machine sans doute, mais quel instrument d'analyse! C'est instrument nous fait découvrir le vrai visage de la terre. Les routes, en effet, durant des siècles, nous ont trompés. Nous ressemblions à cette souveraine qui désira visiter ces sujets et connaître s'ils se réjouissaient de son règne. Ses courtisans, afin de l'abuser , dressèrent sur son chemin quelques heureux décors et payèrent des figurants pour y danser. Hors du mince fil conducteur, elle n’entrevit rien de son royanme, et ne sut point qu’au large des campagnes ceux qui mouraient de faim la maudissaient.
Ainsi, cheminions-nous le long des routes sinueuses. Elles évitent les terres stériles, les rocs, les sables, elles épousent les besoins de l’homme et vont de fontaine en Fontaine. Elles conduisent les campagnards de leurs granges aux terres à blé, reçoivent au seuil des étables le bétail encore endormi et le versent, dans l’aube, aux luzernes. Elles joignent ce village à cet autre village, car de l’un à l’autre on se marie. Et si même l’une d’elles s’aventure à franchir un désert, la voilà qui fait vingt détours pour se réjouir des oásis.
Ainsi trompés par leurs inflexions comme par autant d’indulgents mensonges, ayant longé, au cours de nos voyages, tant de terres bien arrosées, tant de vergers, tant de prairies, nous avons longtemps embelli l’image de notre prison. Cette planète, nous l’avons crue humide et tendre.
Mais notre vue s’est aiguisée, et nous avons fait un progrès cruel. Avec l’avion, nous avons appris la ligne droite. A peine avons-nous décollé nous lâchons ces chemins qui s’inclinent vers les abreuvoirs et les étables, ou serpentent de ville en ville. Affranchis désormais  des servitudes bien-aimées, délivrés du besoin des fontaines, nous mettons le cap sur nos buts lontains. Alors seulement, du haut de nos trajectoites rectilignes, nous découvrons le subassement essentiel, l’assise de rocs, de sable, et de sel, où la vie, quelquefois, comme un peu de mousse au creux des ruines, ici et là se hasarde à fleurir.
Nous voilà donc changés en physiciens, en biologistes, examinant ces civilisations qui ornent des fonds de vallées, et, parfois, par miracle, s’épanouissent comme des parcs là où le climat les favorise. Nous voilà donc jugeant l’homme à l’échelle cosmique, l’observant à travers nos hublots, comme à travers des instruments d’étude. Nous voilà relisant notre histoire.»

Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes (1939), Éditions Gallimard, 1979, pp. 55-56.

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